PÉRIGNAC : PAICHEL ET L’ÉCOLE DE L’OUTAPRAN

Dans sa prochaine aventure, notre missionnaire va devoir se montrer encore plus ridicule dans son rôle d’imbécile chronique lorsqu’il va devenir un sujet d’intérêt pour une organisation terroriste qui possède des liens très étroits avec la secte d’Alba. Voici donc : Paichel et l’école de l’Outapran.

Demeurant immobile devant sa fenêtre de bureau, le directeur suivit d’un regard satisfait l’arrivée de ses premiers élèves de l’Outapran. Deux hommes et femmes pénétrèrent dans cette vieille école de campagne afin d’y parfaire leurs connaissances dans le domaine du paranormal; c’était du moins leur intention lorsqu’ils répondirent favorablement à l’aimable invitation d’un professeur Berlinois qui venait d’y ouvrir une petite école dans la région de l’Outaouais. En réalité, cet homme dirigeait un important mouvement terroriste infiltré dans tout l’Europe et l’Amérique. Sa mission consistait à utiliser les services d’un certain Fontaimé Denlar Paichel, véritable spécialiste des voyages dans le couloir Intemporel. Puisque ce personnage résidait présentement dans l’Outaouais, l’organisation secrète se devait d’y venir lui tendre un piège afin de le forcer à collaborer dans un plan tout à fait diabolique.

Le directeur fixa froidement un professeur qui venait d’entrer dans son bureau en affichant un sourire malicieux.

- Ils sont là, mon colonel.

- Faites-moi le plaisir de ne plus m’appeler "colonel" aussi longtemps que nous serons au Canada. Il est inutile d’associer mon nom et mon école à une quelconque organisation militariste. Vous allez vous débrouiller mon cher monsieur Defrappe pour inciter vos élèves à s’intéresser à vos travaux scientifiques pendant que j’irai cueillir moi-même ce voyageur à cervelle d’oiseau. Ne souriez pas! J’ai bien l’impression que notre homme n’a rien compris à la nécessité de s’instruire même s’il vit sur terre depuis le moyen âge. Il faut être vraiment idiot pour ne pas savoir lire et écrire après plus de six cents ans d’existence.

- Qu’a-t-il fait pendant tout ce temps, mon...pardon, monsieur von Reich?

- C’est un missionnaire; du moins c’est ce qu’il prétend être depuis toujours. Nous savons peu de choses sur cet extra-terrestre venu d’une ancienne planète de la constellation d’Orion. Vous souriez toujours! C’est pardonnable puisque même les pseudo-spécialistes de petits bonshommes verts refusent de reconnaître qu’un tel pitre puisse revendiquer d’avoir une telle origine.

- Mais vous-même, monsieur, il semble que cette idée ne vous fait pas sourire. Croyez-vous que cela puisse être possible?

- Hum, je ne crois pas aux extra-terrestres. Par-contre, je ne peux nier que ce Paichel possède des dons particuliers. On affirme qu’il peut communiquer avec les animaux et surtout, avec des "êtres" de l’Invisible. Si cela est véridique, nous aurons besoin de ses services pour transporter notre arme secrète dans le couloir Intemporel.

- Notre homme ressemble à un petit singe, n’est-ce pas?

- Un singe! vous ne trouvez pas qu’il est assez mal fichu comme cela sans lui attribuer des traits de singe!

- Non, je pense que je me suis mal exprimé, monsieur Von Reich. Voyez-vous, d’après un rapport secret allemand daté du 13 mai 1942, des ouvriers affirment avoir aperçu un étrange person­nage apparaître près d’un char d’assaut qui venait à peine de sortir de l’usine. On mentionne qu’un petit homme ressemblant à un singe tourna un moment autour de l’engin en se maintenant en équilibre sur une boule ressemblant à un globe terrestre. Puis, tout-à-coup, l’instant d’après, le char disparut comme par enchantement. Aujourd'hui, on explique ce phénomène par un mot: téléportation.

- Moi aussi, j’ai lu ce rapport plusieurs fois mais j’avoue qu’il me laisse complètement froid. Pour répondre clairement à votre question, Fontaimé Denlar Paichel n’est pas un singe mais un imbécile naturel. Pour être encore plus précis, il apparût à notre époque en 1949, et y restera pour une période maximale de quatre-vingt-quatre ans. Nous savons qu’il a vécu également en Atlantide puisque nous avons récemment découvert un manuscrit relatant son passage sur ce continent disparu. Sa dernière escapade dans le temps se situe à l’époque du Christ.

- Comment pouvez-vous affirmer qu’il vivra encore ce nombre d’an­nées?

- Nous pensons que ce voyageur utilise une faille intemporelle qui lui apparaît à tous les quatre-vingt-quatre ans seulement. Logiquement, notre homme devrait donc attendre à l’an 2033 pour retourner dans ce passage. Par-contre, grâce à notre canon destructeur de particules, nous l’aiderons à devancer son heure de départ...

Le directeur se mit à rire entre ses dents en sortant lentement de son bureau. Il ne put s’empêcher d’ajouter: “Je sais comment attirer notre homme dans notre école et surtout, m’assu­rer de sa collaboration! Je ne crois pas qu’il persistera dans son entêtement lorsque nous l’aurons averti que cela coûte­rait la vie à quatre "pauvres" élèves de notre école...”

Un petit coup de peigne sur son îlot de poils crânien?, un autre sur la barbiche de chèvre, c’est tout ce qu’il lui fallait pour bien paraître devant son nouveau professeur d’école. Le plus beau jour de sa vie venait enfin d’arriver comme un cheveu sur la soupe. Le miracle s’ac­complit un beau matin de printemps lorsque Fontaimé Denlar Paichel réalisa qu’on venait de l’admet­tre à l’école de l’Outapran. Il faut dire qu’il n’est pas donné à tout un chacun d’être illet­tré depuis le moyen âge. Depuis que le beau temps était arrivé, notre homme travaillait dans un cirque comme clown suppléant. En attendant de remplacer quelqu’un qui n’était jamais malade, Paichel nettoyait les cages d’animaux. Même le roi des bêtes était un genre de minou qu’il fallait tirer par la queue pour le faire rugir. C’est là que notre employé fit une rencontre inusitée sous la personne de l’illustre professeur Berlinois.

- Vous êtes monsieur Fontaimé Denlar Paichel?, demanda l’homme en parlant dans un sourire entre les dents.

Paichel se releva et regardant droit dans les yeux l’homme entièrement vêtu de noir répliqua timidement :

- Vous me connaissez, monsieur...?

- Heinrich von Reich, directeur de l’illustre école de l’Outa­pran. Notre institution privée est l’une des dix plus grandes écoles de Berlin.

- À Berlin! Vraiment!... Ainsi, dans l’Outaouais, vous dirigez une école où les gens apprennent à lire et à écrire?

- Bien sûr! Remarquez que cette institution est tout à fait spéciale car ici, vous apprendrez à lire et à écrire en trois semaines seulement. Évidemment, nos méthodes restent secrètes mais nous travaillons à mettre au point une nouvelle technique qui nous permettra de le faire en sept jours seulement. C’est d’ailleurs la raison qui m’amène ici car nous recherchons des individus d’un certain âge, comme vous, qui n’ont pas eu la chance de s’instruire. Selon nos renseigne­ments, vous seriez le candidat idéal pour apprendre à lire en trois jours seulement.

- Hein, c’est fantastique! Ainsi, après trois jours d’école seulement, je pourrai lire un Rabelais ou un Shakespeare sans problème?

- Il semble que c’est tout à fait probable, mon cher monsieur. De toutes façons, dans le pire des cas, vous pourrez lire un Harlequin en quelques jours seulement. C’est déjà un début! Aimez-vous les romans d’amour?

- Bien entendu!, mais en fait, combien cela va-t-il m’en coûter en frais scolaires; vous comprenez...

- "Rien du tout", coupa le professeur. Je cherche un bon sujet d’expérimentation pour mes nouvelles méthodes d’apprentissage et je sais que vous êtes notre homme. Si cela vous intéresse, présentez ce billet au conducteur de l’autobus scolaire qui ramasse tous nos étudiants à l’angle des rues Lois et Montcalm. L’autobus arrivera vers sept heures. Assurez-vous d’apporter un crayon et du papier, n’est-ce pas?

- Et une pomme pour la récréation?, demanda Paichel tout excité!

On retrouve donc notre pauvre naïf le jour suivant se tenant très droit à l’arrêt d’autobus, en tenant sa pomme dans la main droite et portant un petit sac d’écolier rempli à craquer de feuilles et crayons aiguisés. Il avait plutôt l’air d’un jeune étudiant de la maternelle avec son béret français, sa chemise blanche et ses culottes courtes.

Il pleuvait et le vent défit la jolie touffe de cheveux coiffée avec tant de soins. L’eau lui entrait dans les oreilles à cause des voitures qui roulaient si joyeusement en éclaboussant notre étudiant de boue printanière. On peut dire que celui-ci avait fière allure avec son visage tout picoté d’eau noire et son sac qui gardait encore l’odeur de sa dernière demeure. Il faut dire qu’il l’avait trouvé dans les poubelles juste après le départ du professeur. Qu’à cela ne tienne, un ancien clochard médiéval qui a attendu si longtemps pour apprendre est toujours heureux de s’afficher comme étant un vrai étudiant: le nez en l’air, les pieds dans l’eau, la pomme devenue aussi noire qu’une boulle de quille, tout cela aurait pu laisser croire que notre homme s’en allait à l’hôpital psychiatrique et non à l’école tellement il avait l’air fou. Pour­tant, rien n’aurait incité Paichel à changer d’endroit car il ne voulait pas que l’autobus scolaire parte sans lui. Même s’il gelait des cuisses, son coeur était bouillant d’émotions de toutes sortes. Mais que faisait donc l’autobus?

- Sacré-nom-d’un-chien, gémit notre homme en voyant une foule d’autobus passer devant lui sans s’arrê­ter. Il est dix heures et je vais être en retard pour la récréation. Aussi bien manger ma pomme maintenant.

- Attends bonhomme, lui dit un vieux chien cotonneux en flairant le fruit d’un air piteux. Ne peux-tu la couper en deux?

- Qui es-tu?, lui demanda l’homme qui avait l’habitude que les bêtes lui adressent la parole.

- Fric, ancien compagnon d’un policier à la retraite...pour vous servir! Mon maître m’a emmené faire un petit tour dans le bois afin de se débarrasser de moi. Comme j’étais de nouveau devant sa porte à son retour, il n’a pas apprécié ma visite. Ensuite, il m’a offert un os pour m’allécher, puis un autre qu’il a placé tout près des roues de son camion. Au moment où j’ai tenté de le saisir, j’ai entendu le son du moteur et n’ai eu que le temps de me sauver. Ce sans-coeur a voulu m’écraser! Et dire que je n’ai même pas eu le temps de renifler si cet os était au steak de porc ou au poulet! C’est un ingrat, un hypocrite et un...

- Woh minute, mon ami! Puis-je savoir pourquoi un maître décide tout à coup de se débarrasser de son chien fidèle?

- Bien, c’est que je n’étais plus tellement fidèle ces derniers temps. Il me demandait de garder la maison et j’en profitais pour aller faire des petites ballades dans le quartier. Mon maître a dû venir me ramasser deux fois à la fourrière, et trois fois dans la cour d’un voisin. Finalement, il fut très fâché lorsque j’ai mordu un de ses confrères. Vois-tu, il refusait de m’offrir un de ses beignes...

Paichel secoua tristement la tête en disant :

- Et ensuite?

- Hé bien, je me suis sauvé lorsque j’ai réalisé que mon maître s’alignait pour me tirer une balle dans la tête!

- Ouais! Ce n’est pas ce que j’appelle une histoire d’amour. Je veux bien te donner ma pomme rouge. Malheureusement, mon bras est figé à cause de la courroie de ce fichu sac d’école!

- Tu vas sans doute me trouver un peu curieux mais où es-tu sensé aller vêtu ainsi comme un clown?

Sur cette question, le chien sauta d’un bond sur la pomme et n’en fit qu’une bouchée. Notre homme lui répliqua d’un air frustré :

- Tu te penses drôle! Te crois-tu malin en te moquant de ceux qui vont à l’école?

- Bah! À ton âge, je suis certain que tu as fait trois fois le tour des études universitaires, lui répondit Fricassé en jappant joyeusement. Pour t’organiser de la sorte, tu dois sûrement être une sorte de psychiatre à la retraite! Tu sais, ces gens-là, à force de voir tellement de malades dans leur vie, finissent par leur ressembler.

- Merci du compliment, se contenta de répondre l’homme songeur qui se retourna en entendant le klaxon d’une voiture noire.

- Je pense que ces gens veulent te parler. Mon flair de chien policier me laisse supposer qu’ils ont des armes. Crois-moi, j’ai du métier!

- Tu blagues! Je vois mon professeur de l’illustre école de l’Outapran. Alors, si tu veux bien m’excuser mon brave ami, je suis déjà assez en retard sur mes cours de lecture rapide.

L’animal vit son nouveau copain monter dans la voiture et celle-ci disparut rapidement dans un crissement de pneus. “C’est pas normal ça, se dit le chien en jappant nerveusement. Ce gars-là est gentil et je me dois de veiller sur lui. Allons-y pour une petite trotte discrète!” Fric suivit la voiture en courant entre les poubelles et les voitures stationnées. Il bouscula quelques passants qui ne se poussaient pas assez vite sur le trottoir, sans perdre de vue qu’il ne devait surtout pas se faire voir. De son côté, notre pauvre étudiant demanda à son profes­seur pourquoi l’autobus scolaire n’était pas encore passé. L’autre se contenta de répondre furtivement que vu que celui-ci était en panne, ils avaient préféré venir le prendre personnelle­ment ce matin.

Paichel regarda les deux hommes assis de chaque côté de lui et le chauffeur; ils avaient tous des visages de box­eurs. Une petite voix insidieuse en lui se fit entendre : “ J’ai bien l’impression que tu viens de te mettre les deux pieds dans les plats. Regarde ton supposé professeur! Ne trouves-tu pas qu’il ressemble étrangement à ces montres des camps de concentra­tion nazis? Et que dire des trois autres... Ils ont plutôt l’air de gros merce­naires et tortionnaires que de simples professeurs, ne crois-tu pas?”

Fontaimé Denlar Paichel sentit des frissons trop bien connus de lui. Il savait qu’il était trop tard pour leur fausser compagnie. Mieux valait jouer à l’innocent. Heureusement qu’à ce jeu-là, notre homme n’avait nul besoin de maître pour lui enseigner comment faire l’insensé.

- Oups! J’avais amené une belle pomme pour ma collation mais dans ma peur d’être oublié sur le coin de la rue, je...

- Vraiment, le coupa le pseudo-professeur en le regardant droit dans les yeux, celui-ci étant assis face à lui dans la “ limousine ” et surveillant ses moindres gestes. Quoi... vous l’avez mangée?

- Bah! Il est plus de dix heures, et je ne pense pas que vous m’autoriseriez à manger dans la classe...

- Hum, hum, répondit sommairement son vis-à-vis.

- Il y a beaucoup d’élèves à votre école?

- Pas vraiment, monsieur Paichel, répondit von Reich d’une voix glaciale, pour ne pas dire, peu humaine. Nous préférons avoir la "crème" des sujets. Par-contre, je suis convaincu que vous adorerez l’OUTAPRAN, conclut le maître d’une voix sarcastique.

- Je suis de votre avis, répliqua Paichel en souriant candide­ment.

En regardant dehors, notre étudiant vit la voiture prendre un chemin de campagne. Il se débattait dans un langage intérieur où l’idée se précisa que le jour où il pourrait apprendre à lire et à écrire n’était pas encore arrivé. C’était un autre tour du destin. Il savait pertinemment qu’il n’avait pas à s’en étonner. Il se dit que c’était trop beau pour être vrai et se demanda ce que voulaient ces gens pour avoir osé le piéger ainsi. Chose certaine, son intuition lui indiqua qu’ils le connaissaient probablement mieux qu’il le supposait au départ.

Mais, où conduisait-on notre pauvre homme? Il lui vint cette tentation de jouer au guide devant ces étrangers mais devant leur air fermé, il décida de laisser son esprit vagabonder en se représentant comment il pourrait présen­ter son petit coin d’ac­cueil. Pour ceux qui ne connaissent pas Hull, cette ville est apparue assez particulière aux yeux de Paichel car elle fait face à la capitale du Canada, pays reconnu pour être plus anglo­phone que francophone, bien que ses dirigeants se targuent de le présen­ter à l’extérieur comme étant bilingue. C’est du moins ce que les habitants de la région avaient expliqué à notre voyageur. Ils affirmaient qu’ils leur fallait beaucoup de courage pour mainte­nir leur langue française et leur culture. D’ailleurs, plusieurs humoristes représentaient les Québécois comme étant des descen­dants de ces Celtes que tout le monde connaissait sous le nom de Gaulois si farouches.

Paichel se disait que tout ceci donnait à Hull un cachet assez particulier et attachant pour ce voyageur des temps car elle était la seule ville fronta­lière entre le Québec et l’Ontario à pouvoir se vanter d’avoir un moulin à papier qui voisine le grand musée des Civili­sations canadien qui fait face à un grand hôtel appelé Ramada Inn, lui-même situé près d’un grand com­plexe d’édifices fédéraux et provin­ciaux.

À quelques minutes à peine de ce système de tentacules, où Paichel avait visité une profusion de bars, un immense parc magnifique appartenant au fédéral côtoyait l’Uni­versité du Québec, une prison et un ancien orphe­li­nat transformé en centre de res­sources pour défi­cients intel­lectuels. Tout cela se situait à quelques pas d’un parc historique qui aurait pu servir de débar­cadère aux canots de jadis aux abords de la rivière Outaouais dont cinq ponts relient les deux rives.

Paichel se laissa envahir par d’autres images; Ha oui, il y avait aussi Aylmer à l’ouest de Hull à allure très anglaise avec ses terrains de golf, ses résidences d’ambassades et assez recher­chée pour ses régates. Plus à l’est, il y a Gatineau, ancienne ville des familles de bûcherons qui s’est développée très rapide­ment. Elle aussi accueillait des milliers de gens pendant son festival de la Montgolfière où le modernisme de ville récente prenait un petit air vieillot en septembre sous la multitude des ballons multico­lo­res.

Mais là, la voiture prenait plutôt la direction du nord. Allait-on se rendre en Abitibi ou à la réserve indienne de Maniwaki? Maintenant, notre homme put apercevoir au loin, le petit train à vapeur qui faisait navette entre Hull et Wakefield et qui ser­vait, lui aussi, d’attraction touristique. La voiture ne se rendit pourtant pas au terminus du petit train. Dommage! Tout d’un coup, elle se promena dans une série de petits chemins et s’arrêta dans une ancienne carrière où notre ami aperçut une vieille école rustique datant des années de colonisation, du moins c’est ainsi qu’elle apparût à ses yeux, entourée d’un bois à demi défriché. La voiture s’arrêta et les deux gorilles sortirent Paichel par le chignon du cou.

- Attendez voyons! cria celui-ci en suffoquant. Je sais bien que je suis en retard à mes cours mais est-ce une raison pour m’en­voyer chez le directeur?

- Lâchez-le, jappa von Reich en descendant de voiture. Monsieur Paichel est capable d’entrer sans faire d’histoires. N’est-ce pas monsieur?

- Ecoutez, monsieur le directeur! J’ignorais qu’on molestait les étudiants dans votre école. Je me verrai dans l’obligation d’en faire part aux autorités scolaires si cela se répète. Il y a des lois qui nous protègent ici, au Canada!

- Mais non, mon cher ami! Ces deux professeurs ne voulaient que vous aider à sortir de la voiture, lui répondit Reich en souriant. Venez voyons, je vais vous présenter aux autres élèves.

Préférant sans doute utiliser des méthodes plus douces envers lui, Von Reich lui plaça sa main sur l’épaule et le conduisit ainsi dans un modeste local où deux hommes et deux femmes écoutaient distraitement un exposé sur des phénomènes paranormaux. Le professeur pointait sur un schéma, une partie d’un cerveau humain en disant :"C’est au niveau de ces neurones que se produit la surcharge de courant "psy". Vous constaterez que dans ce docu­ment réalisé en 1942, à quel point nos recherches se révélèrent fructueuses à cet égard. Il nous fallait prévoir encore une dizaine d’années pour aboutir au parfait contrôle de cette fantastique énergie psychique. Malheureusement, la fin de la guerre mit un terme à nos expériences cliniques des plus intéres­santes. Nous...

L’homme s’arrêta lorsqu’il vit von Reich désigner une place au nouvel étudiant.

- Installez-vous ici, monsieur Paichel. Monsieur Jean Defrappe va vous présenter car moi je dois retourner dans mon bureau où m’attend beaucoup de travail.

- Oui, oui, je comprends cela, murmura Paichel.

Sur ces mots jetés rapidement, il se retira. Le professeur se caressa nerveusement les mains en invitant ses élèves à se présenter à tour de rôle au nouvel arrivant.

- Bonjour monsieur Paichel, je me présente, Shana, parapsychologue.

- Je suis ravi de vous rencontrer, chère dame, répondit Paichel d’un ton charmeur!

- André Couturier, programmeur en informatique et psychanalyste à l’institut Jung à Genève.

- Je suis enchanté, monsieur!

- Daniel Boulia, spécialiste de la musique numérologique, psychique, cosmique et paradimensionnelle.

- Je suis heureux de faire votre connaissance, monsieur Boulia!

- Carole Papineau, professeur de méditation à l’école ésotérique "La petite voix".

- Oh, je suis très honoré madame, lui répondit Paichel en lui baisant la main. Je me sens vraiment ridicule de devoir vous présenter mes lettres de créances après avoir entendu des titres aussi prestigieux. Je me présente : Fontaimé Denlar Paichel, illus­tre clochard illettré. C’est très court, n’est-ce pas?

- Quoi! vous êtes Paichel, ce fameux voyageur de l’Intemporel?, demanda Shana d’une voix excitée.

- Il n’y a qu’un seul Paichel dans toute l’histoire de l’humani­té chère dame...Du moins, je le suppose. Me voici donc devant vous, presque ridicule dans son accoutrement de jeune étudiant.

- Oh, je vous aurais reconnu habillé n’importe comment, vous savez! L’un de mes amis qu’on surnomme Pérignac m’a tellement parlé de vous que j’ai l’impression de vous connaître depuis tou­jours. Savez-vous que vous êtes à la source de mon intérêt pour la parapsychologie?

- Ah oui, ce cher Pérignac. Je crois qu’il est le seul à connaître comme le fond de sa poche le vieux clochard que je suis. D’ailleurs, il ne s’est pas gêné pour mettre par écrit toutes les aventures que je lui ai racontées! Ce bonhomme a été fasciné par mes aventures dans le temps et a promis de les faire connaître afin de me remercier de lui avoir raconté ma vie.

- C’est vraiment étrange de pouvoir parler personnelle­ment à un personnage que je considérais jusqu’à ce jour, issu tout droit de l’imagina­tion fertile de ce cher fabuliste. J’aurai quel­ques mots à lui dire lorsqu’on se reverra!, répon­dit la dame en souriant d’un air extasié.

- Vous savez madame, je crois tout à fait inutile de vous parler du monde des esprits. Il arrive que des personnages du monde irréel se retrouvent dans l’univers physique. Par exem­ple, en ce moment précis, je pourrais vous demander si vous êtes une personne réelle ou un personnage de l’une de mes aventures? Tout est vraiment relatif en ce monde!

- Vos paroles me laissent songeuse. J’avoue humblement que de vous voir ici m’apparaît tellement improbable que je dois vous répondre que tout est possible, lui répondit-elle en riant.

Le professeur Defrappe coupa court à un dialogue qui aurait pu s’éterniser en demandant aux élèves de se rasseoir afin de terminer l’exposé sur le système neurologique. Paichel se demanda à quoi rimait toute cette mise en scène! Que faisait-il dans une école fréquentée par de tels spécia­listes, sinon être encore utilisé par ses puissants Maîtres de l’invisible. Il avait cessé de se questionner depuis très longtemps depuis qu’ils l’envoyaient en mission à travers le couloir de l’Intemporel, lui, l’un des rares êtres humains à pouvoir voyager ainsi avec son corps. Il aurait pourtant aimé qu’on lui révèle enfin le secret de sa longévité.

Il regarda autour de lui. Tout comme lui, il semblait que les autres élèves ignoraient encore la raison de leur présence dans cette école, ni même, quel type de formation on y donnait. Ils écoutaient le professeur d’un air candide et innocent! Quel était donc le secret de l’Outapran? Son expérience vécue dans des événements mystérieux lui dicta de garder son esprit en éveil, coûte que coûte. Par-contre, il était loin de se douter de la vérité. Cette fois-ci, ils deviendraient les cobayes d’une organi­sa­tion secrète dont les plans diaboliques risquaient de détruire l’humanité toute entiè­re. Même s’il ne le savait pas encore, Paichel était à l’aube d’une mission d’envergure jamais expérimentée jusqu’à mainte­nant; là se trouve la triste vérité.

Il pouvait être aux environs de quinze heures lorsque les deux gorilles invitèrent Paichel à les suivre au sous-sol de l’école sous prétexte de lui prendre sa photographie pour sa carte d’étudiant. Notre homme en doutait, mais comment refuser la compagnie d’aussi gentils gardes du corps? L’un des musclés le poussa bientôt dans une salle mystérieuse où des appareils sophistiqués la meublaient comme dans les films de science-fiction. Le prisonnier se fit piquer traîtreusement dans le cou par un technicien vêtu d’un sarrau blanc et sombra dans une sorte de paralysie passagère. Même si la drogue devait, en principe, le plonger dans un profond sommeil, il faut savoir qu’une étroite liaison mentale entre Paichel et ses Maîtres de l’invisible le protégeait contre les effets normalement obtenus par ce somnifère. Pour s’éviter de se faire administrer une tonne de cette drogue dans ses veines vierges, Paichel fit semblant de répondre favorablement à celle-ci en pliant les genoux et en se laissant mou comme de la guenille. Il fut traîné jusqu’à un fauteuil qui avait toute les apparences d’une chaise électrique. Von Reich demanda aussitôt qu’on installe les suces sur le crâne du patient et vint se placer devant un écran d’ordinateur pour ensuite sourire en disant :

- Cet homme semble n’avoir subi aucune détérioration du cerveau. C’est important de nous assurer que ces voyages dans l’Intemporel ne comportent aucun risque pour les cellules du cerveau. Notre dernière expérience dans ce domaine montra un vieillissement prématuré de notre sujet. Il va falloir que notre prisonnier nous explique pourquoi il en va autrement avec lui.

- Vous oubliez sans doute celle qui fut pratiquée avec une pièce de monnaie, lui dit le technicien en plaçant d’autres fils sur le corps du cobaye. Il nous fut impossible de la ramener de l’autre dimension.

- Il y a sûrement quelque chose que vous n’avez pas fait correctement au cours de cette expérience, lui répondit le colonel d’un air hautain.

- J’ose croire que cet idiot de Paichel fera mieux que moi pour faire avancer notre projet.

- Il le fera puisqu’il est déjà un véritable spécialiste de tels voyages dans le temps. Si nous pouvons percer ce mystère des mondes parallèles, notre prisonnier nous indiquera comment nous y prendre pour atteindre cette période de l’histoire qui nous intéresse.

- Est-ce que je lui administre le sérum de vérité pour lui délier la langue?

- Oui, je n’ai pas l’intention de passer des heures à attendre ses réponses.

Paichel ouvrit les yeux et lui dit en souriant :

- Ne comptez pas sur moi pour vous guider dans le couloir de l’Intemporel.

- Il se réveille, ragea le technicien.

- Pour me réveiller, il aurait d’abord fallu m’endormir mon pauvre monsieur. Je trouve qu’elle est bien intéressante votre méthode pour m’apprendre à lire et à écrire, von Reich!

-Calmez-vous voyons! Si vous répondez à mes questions et qu’elles me paraissent satisfaisantes, je vais vous libérer ensuite.

- Mais vous semblez oublier que je ne suis pas dans votre époque pour répondre à vos questions, mais pour accomplir les missions que me confient mes Maîtres de l’invisible.

- Pas vrai! Ils seront donc heureux de devenir mes collaborateurs lorsqu’ils apprendront que leur petit “ zéro ”risque gros entre mes mains.

- Ils savent déjà où je me trouve et même ce qui me vaut un tel accueil. À votre place, von Reich, je n’insisterais pas pour les irriter au-delà d’une certaine mesure.

- Vraiment! Vous croyez préférable que je vous laisse partir sans vous questionner? Et que vont dire mes supérieurs s’ils apprennent que je n’ai pas fait mon travail? Vous voyez bien que c’est dans votre intérêt de ne plus m’ennuyer avec vos petits maîtres de l’Impossible et plus tôt que vous répondrez, moins vous risquerez de souffrir la présence de ces petits fils sur votre peau.

- Ce sont des fils conducteurs de combien de volts?

- Autant que sur une vraie chaise électrique, mon cher Paichel.

- Entre-nous, von Reich, je pourrais vous répondre n’importe quoi.

- Pas si je vous dis que je détiens des cristaux de mégator. Vous savez de quoi je veux parler, vous me suivez? Je vais même vous rappeler que vous avez vécu en Atlantide au cours de vos voyages dans le temps. Vous ne me demandez pas d’où je tiens ces informations?

- Dites toujours.

- Il se trouve que mes supérieurs découvrirent un étrange document pendant la dernière guerre mondiale. Nos troupes plaçaient des mines près des côtes de Dieppe en attendant du renfort allemand. Par un heureux hasard de circonstance, l’un des soldats trouva un petit coffre renfermant un manuscrit écrit en grec. Nos spécialistes, après analyses, en déduisirent qu’il s’agissait d’une écriture très archaïque, datant probablement du début de l’empire helléniste. Quoi qu’il en soit, l’important c’est de savoir que ces écrits furent traduits et qu’ils parlaient de la destruction de Mu, de la fuite de scientifiques Atlantes et surtout, d’expériences auxquelles ceux-ci se livraient avec du mégator. L’un de ces savants se nommait, Get-Mar.

- Get-Maar, répondit Paichel sans hésiter.

- Parfait, il s’appelait Get-Maar et non Get-Mar. Donc, ce scientifique aurait réussi, me semble-t-il à fuir l’Atlantide pour ensuite arriver en Grèce.

- Mais c’est fascinant, lui dit son prisonnier en souriant. Ainsi, ce sacré jeune homme en a fait du chemin avant d’arriver en France!

- Vous dites n’importe quoi pour éviter d’aborder le sujet qui m’intéresse, monsieur le voyageur de l’Intemporel. Vous cesserez de sourire lorsque je vous dirai ce que contenait également ce parchemin. Il y est écrit qu’un missionnaire hérita d’un berceau et d’un tube de mégator. Get-Maar nous apporte même sur un plat d’argent le nom de celui-ci.

- Et qui serait-il selon vous?

- Non, pas selon moi, mais de ce scientifique qui vous nomme comme le détenteur de ce fameux tube en question. Il précise même l’utilité du mégator pour des expériences sur le canon à particules. Vous avez vu ce canon lorsque vous viviez en Atlantide, n’est-ce pas?

- Je n’ai vu aucun canon, mais un genre de laser qui pouvait pratiquer des trous énormes dans la pierre. Je sais aujourd’hui que les Atlantes pouvaient déplacer des atomes sans défaire leurs symétries.

- Nous savons cela, Paichel, puisque nous possédons justement ce canon à particules. Le seul problème, c’est que ce scientifique n’a laissé aucune instruction sur la manière de s’en servir.

- Quoi? Vous avez découvert un canon Atlante? C’est impossible voyons. Je ne peux pas croire que Get-Maar puisse avoir été aussi imprudent...

- Mais voyons mon cher ami, ne vous excitez pas ainsi! Vous devriez savoir que tous les savants sont naïfs. Ce personnage a cru utile de cacher son invention dans l’une des grottes situées sous l’un des temples du dieu Poséidon, sur l’île de Crète. Bien qu’il n’ait jamais mentionné l’endroit où il l’avait caché, le seul fait que son manuscrit philosophique parle de ce culte, les déductions étaient faciles à faire!

- Ah oui, vraiment...poursuivez toujours!

Von Reich lui fit un large sourire sarcastique avant de dire :

- Voyez-vous, mon cher missionnaire, mes supérieurs se sont dit que ce pauvre idiot croirait sans doute que jamais personne n’oserait faire des fouilles par superstition. Il croyait, sans doute que les hommes rendraient un culte à ce dieu jusqu’à la fin des temps, tel est l’orgueil des religieux.

- O.K. von Reich, cessez de vous vanter et venez-en au fait!

- Justement, j’y arrive car le fait est que mes supérieurs ont dirigé leurs fouilles sous ces temples et ont découvert ce fameux canon-laser primitif dans un coffre recouvert de fils d’araignées. À l’intérieur, ils ont trouvé un tube argenté contenant deux cents cristaux brillants. Après analyses, il semblerait que le mégator soit, en quelques sorte, de l’énergie psychique pure. Est-ce que tout cela est exact, monsieur Paichel?

- Pourquoi me posez-vous cette question?

- Mais voyons, ne jouez pas au plus fin avec moi. je ne vous ai pas fait toutes ces révélations sans but précis...

- Ah oui! Vous voulez peut-être savoir à quelle puissance vous risquez de vous mesurer? Auriez-vous certaines craintes par hasard, von Reich? Je ne vous blâme pas. C’est la seule pensée intelli­gente que j’entrevois depuis un long moment : ne jouez pas avec le mégator sans en connaître son véritable pouvoir.

- Oh non! Inutile de vous réjouir trop vite car je sais que vous essayez de me faire peur. Qui voulez-vous protéger? Ces maîtres venus d’un autre monde...mais lequel? Je ne crois qu’en ce que je vois; alors, convainquez-moi!

- Je vois que vous refusez de comprendre, von Reich! D’accord, c’est vous qui l’aurez voulu même si mes explications risquent d’être assez longues et scientifiques à vos yeux.

- Ça suffit, monsieur Paichel, vous m’agacez avec vos allusions perfides sur ma supposée incapacité de comprendre. Je veux tout savoir! Faites en sorte que je réussisse à tout compren­dre rapidement en un seul exposé car je n’ai pas de temps à perdre. Je suis capable de vous demander des éclaircissements au besoin, n’est-ce pas, car sinon... Paichel haussa les épaules avant de répondre :

- Bon, bon, cessez de grogner avec vos menaces ridicules et sachez que si je vous explique tout c’est que j’ai la conviction d’avoir à convaincre un fou encore une fois! Donc, je commence mon exposé et suivez-moi; je ne répéterai pas deux fois! Le mégator est l’énergie psychique des maîtres intemporels. L’in­temporel est un autre monde invisible pour nous non pas parce qu’il n’existe pas, mais parce qu’un couloir sépare les deux univers.

- Lâchez votre couloir et parlez-moi du MÉGATOR, jappa von Reich!

- Mais vous ne comprenez pas, sacré nom d’un chien! Le mégator est comme des milliers d’esprits intelligents réunis en un seul grain brillant et vous avez dit vous-même que le tube en contient deux cents; cela ferait toute une armée!

- Et alors!

- Mais voyons, soyez réaliste pour une fois dans votre vie. Vous vous adressez à une science encore inconnue sur terre. On lui donne parfois le nom de "magnétisme universel" mais ce mot est très loin de la réalité.

- Vous m’en direz tant!

- O.K. J’explique... Le début de notre univers commença par l’ex­plosion d’une puissance intelligente contenue dans la taille d’une balle de golf mais ce n’était pas du mégator mais la première des énergies cosmiques. On lui donna le nom de Dieu et même de "Pensée Créatrice"

- Woh! Ne m’entraînez pas dans vos histoires de religions, de genèse et de paradis terrestre, peut-être? Vous savez que je ne crois pas en ces sornettes ridicules!

- Un instant, von Reich! Laissez-moi à mon tour vous affirmer que votre culture laisse à désirer car vous mélangez tout. Ne mêlez pas ce besoin qu’à l’homme de croire en quelque chose qu’il ressent intuitivement en lui au point de suivre certains "gourous" terrestres trop souvent appelés également "maîtres" et les comparer à ceux du monde intemporel.

- Ah bon! Enfin un humain agnostique...mais qu’ont donc vos supposés "Maîtres" que les nôtres n’ont pas?

Le missionnaire secoua tristement la tête :

- Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit! Je n’ai jamais mis en cause certains écrits ésotériques dont la sagesse est évidente. C’est de ce que les humains en ont fait selon leurs propres interprétations mais je ne veux pas m’éten­dre sur ce sujet. Pour en revenir à votre question, je ne peux que vous répondre que le mégator est la concentration de grandes pensées maîtresses universelles qu’il ne faut pas, encore une fois, confondre la réflexion qui est la somme des images, et la comparer à la pensée de concentration profonde qui elle, se transforme en énergie. Il y a différence entre voir et maîtriser. Je n’ai jamais entendu dire que vos "gou­rous" ont réussi à se transformer en cristaux puissants. Avant de vous intéresser à jouer avec l’esprit des Grands-Maîtres cosmiques, demandez-vous donc si vous êtes prêts à en subir les conséquences comme les Atlantes car c’est bien là votre inten­tion, n'est-ce pas?

- Très intéressant votre mise en garde mais vous sous-estimez ma capacité de réussir, mon cher voyageur. Désolé de vous déce­voir mais voyez-vous, tout ce que vous m’avez dévoilé ne fait que me confirmer que dans toute puissance il y a toujours une faille et celle de vos maîtres, je la connais. Vous semblez oublier que si vos gourous ont voulu cacher deux tubes de mégator dans des endroits différents c’est qu’ils avaient peur du pouvoir de leur union. Les Atlantes ne l’ont pas compris mais moi, si! Get-Maar dit clairement que l’architecte de Mu vous a offert un tube de mégator encore plus puissant que celui ayant servi aux expériences du canon à particules. Qu’en avez-vous fait, monsieur Paichel?

Le missionnaire lui fit une charmante grimace avant de lui répondre :

- Je ne vais sûrement pas vous le remettre puisque celui-ci est vraiment trop dangereux pour le laisser entre les mains d’un petit malfaisant sans scrupule et sans âme. Je peux cependant vous dire où il se trouve, à moins que vous doutiez de l’existence de l’au-delà.

- Ne me dites surtout pas qu’il se trouve dans l’au-delà si vous tenez à conserver le peu de respect que j’ai envers un voyageur intemporel. Vous manquez vraiment d’imagination et si j’étais à votre place, j’inventerais au moins une histoire qui se tienne debout! Allons, vous l’avez caché quelque part sur Terre au cours de l’un de vos voyages dans le temps. Entre-nous, vous savez bien que l’au-delà est l’invention de ceux qui fuient dans le rêve à cause de leur incapacité d’accepter la réalité.

- Hum, lui répondit Paichel, je pense que vous vous méprenez grandement en vous imaginant que votre réalité est celle qui doit exister également pour les autres. Je viens de vous dire que ce tube de mégator se trouve dans l’au-delà et si vous n’y croyez pas, je perds mon temps à répondre à vos questions.

- Si je vous laisse crever sur votre chaise, Paichel, allez-vous prétendre que cela valait la peine de m’agacer avec vos mensonges?

- Je vous dis la vérité et vous me traitez de menteur. Ce n’est pas ainsi que vous obtiendrez des informations sur ce tube.

Vraiment agacé par les propos de son prisonnier, von Reich replaça sa cravate en disant :

- Parfait, sortez-moi vos sornettes philosophiques sur l’au-delà afin que je sache comment vous y envoyer au besoin.

- Mais vous ne pourrez jamais m’y envoyer à votre gré puisque le seul moment où je m’y retrouve, c’est lorsque je voyage dans le couloir Intemporel. Il se passe alors un phénomène assez étrange. Oui, c’est exactement comme si j’arrivais dans un monde où le temps n’existe plus vraiment. Je peux y passer une seconde et m’imaginer ensuite que plusieurs années se sont écoulées depuis mon départ d’une autre époque. Je m’y repose, j’y rencontre une foule de gens que j’ai connu au cours de mes aventures et j’y séjourne un long moment sur mon îlot originel. Nous possédons tous un coin particulier dans l’au-delà qui ressemble à ce que nous sommes vraiment sans notre corps physique. Maintenant, pour en revenir à ce tube de mégator, il se trouve sur mon îlot intemporel. Je l’ai soigneusement rangé dans un gros coffre sur roues qui m’a été offert par des Atlantes.

- Hum, selon vous, je posséderais un îlot dans l’intemporel? Si c’est le cas, dites-moi comment m’y rendre et de là, j’irai vous rendre visite afin que vous me remettiez ce tube.

- Ne vous moquez pas de moi, von Reich.

- Mais pourquoi pas? C’est vous qui avez dit qu’on possédait tous un îlot dans ce monde, n’est-ce pas?

- Oui, je l’avoue et j’ajouterai cependant que vous ne pourriez venir me visiter à moins d’avoir envie de vivre en harmonie avec ces êtres qui peuplent mon île. Ce sont des esprits pacifiques qui ont l’aspect de petits cristaux lumineux. Lorsqu’ils se regroupent, ils forment une grande clarté en vous. Je dois préciser que l’au-delà se trouve en vous et c’est pour cela que j’ai dit que nous avons tous un îlot dans ce monde spirituel.

- Ça va faire, j’en ai assez entendu pour comprendre que vous me faites marcher depuis le début. Ce tube, il me le faut et vous allez me le ramener avant que je décide d’envoyer mes hommes exécuter l’un des élèves pour vous ramener à la raison. Écoutez-moi bien et jugez ensuite si je suis le genre à écouter vos radotages philosophiques. Vous me faites drôlement ricaner avec vos esprits pacifiques et votre îlot illusoire. Les seuls véritables pacifiques que je respecte sont ceux qui reposent dans un cimetière. Par conséquent, si je peux vous donner un conseil, ne cherchez plus à m’endormir de la sorte.

- Vous êtes vraiment possédé par le pouvoir et obsédé par ce mégator, von Reich. Je vous préviens que mes Maîtres de l’invisibles ne vous laisseront pas détenir un seul grain de celui-ci puisque vos intentions sont malsaines. Vous me faites penser à ces nazis qui s’imaginaient pouvoir contrôler le monde en suivant les directives d’un malade dangereux.

- Adolph Hitler était un génie pour avoir compris que le monde entier respirerait seulement le jour où toutes les races inférieures disparaîtraient de la planète ainsi que toutes les religions.

- Mais quel beau menu en perspective! Qui sont ces races inférieures, sinon celles qui détiennent le pouvoir monétaire n’est-ce pas? Et pourquoi les religions si ce n’est qu’elles détiennent le pouvoir spirituel, n’est-ce pas? Hitler n’était pas un génie pour avoir compris qu’il suffit de contrôler l’argent et la foi des gens pour gouverner le monde. Plusieurs dictateurs le précédèrent dans cette voie, sauf qu’ils ne jouaient pas comme lui à créer des races inférieures pour justifier leurs actes.

- Balivernes!, lui répondit von Reich. Vous oubliez que toutes les grandes religions se disent les élus de Dieu et considèrent les autres sectes comme des ennemis de la vraie foi. Le nazisme n’est pas une croyance, mais un système qui copie les lois de la nature. C’est la seule purification possible pour la race humaine.

- C’était la seule pour les Nazies, mais les autres peuples avaient également le droit de refuser cet honneur de disparaître pour satisfaire votre folie, von Reich. Hitler est mort et son système n’est plus qu’un mauvais cauchemar dans l’histoire de l’humanité.

- Oh, mais il y est vivant en 1939 et son peuple le considère comme un libérateur de la race germanique.

- Oh, mais je commence à comprendre vos intentions démoniaques, von Reich! Non, j’espère que vous n’avez pas l’intention de retourner à cette époque révolue puisque vous ne pourrez pas la changer.

- Bien entendu que nous pourrons la changer lorsque vous nous y conduirez en 1939 avec ce super canon qui accomplira cette purification raciale.

- Vous êtes fou!

- Non, aucune nation ennemie ne pourra résister à cette arme Atlante. Puis, comme nous connaissons les traîtres et les véritables ennemis d’Hitler, soyez certain que nous allons les éliminer avant même qu’ils adhèrent à notre parti. Nous utiliserons nos connaissances modernes pour soumettre toutes les nations de la terre. La bombe atomique ne tombera pas à Hiroshima, mais sur Londres. N’est-ce pas extraordinaire de connaître à l’avance les moindres stratégies militaires de ceux qui provoquèrent la chute du Grand Reich?

- Écoutez-moi bien s’il vous reste encore un peu de discernement. Vous ne pourrez jamais changer ce qui est déjà fait puisque le monde d’aujourd’hui n’existerait plus. Soyez logique à votre tour en vous demandant s’il est mentionné quelque part qu’un certain Vladimir von Reich utilisa un canon Atlante en 1939? S’il n’y a rien de tel dans l’histoire, c’est parce que vous ne parviendrez pas à reculer dans le temps dans le but de le modifier.

- Me prenez-vous pour un sot, monsieur Paichel? Je ne veux pas modifier l’histoire officielle, mais l’effacer. Il va s’en dire que le monde actuel sera différent puisqu’il sera gouverné par la grande Allemagne. Toutes les races inférieures n’existeront plus et Hitler vivra très vieux. Personne ne réalisera quel aura été un monde après la défaite allemande puisque celle-ci n’aura pas lieu. Votre histoire n’existera plus dès que la nôtre se poursuivra après notre victoire en 1940. C’est tout le temps qu’il nous faudra pour gagner cette deuxième guerre mondiale.

- Ne comptez pas sur moi, von Reich pour vous conduire dans cette époque puisque le couloir de l’Intemporel m’apparaîtra uniquement dans plusieurs années.

- Je sais cela, lui répondit son bourreau. Mais au risque de vous contredire, vous allez devoir devancer votre cadran temporel. Nous savons comment pratiquer une faille dans l’Intemporel et cela vous permettra de l’emprunter pour aller nous chercher ce petit tube de mégator.

- Et si vous êtes en mesure de vous promener dans l’Intemporel, von Reich, je me demande bien pourquoi vous refusez de l’utiliser.

- Nous l’avons déjà expérimenté mon cher ami sans pour autant parvenir à ramener notre voyageur sans incidents de parcours. L’un d’eux est revenu en poussière et un autre avait tellement vieilli au cours des quelques minutes qu’il y passa que nous avons préféré attendre votre avis avant de l’utiliser de nouveau.

- Ah oui? Hé bien, je vais vous le donner sans détour cet avis, mon pauvre von Reich! Personne ne peut voyager dans ce couloir sans l’autorisation de mes Maîtres de l’invisible. Ce sont eux qui me guident et qui me protègent lorsque je le traverse pour me rendre dans une autre époque. Même si je voulais l’emprunter à leur insu, il m’arriverait sans doute la même chose que vos cobayes.

- Pas vrai! Alors je vous conseille de leur parler au plus vite de votre intention d’y voyager avant votre temps. Ce joli canon va pratiquer une brèche devant vous et vous y serez jeté mon cher ami.

- Oh, c’est cela que vous appelez un couloir de l’Intemporel? Voyons, c’est un trou dans l’au-delà que vous allez faire avec votre truc.

- Vous me dites n’importe quoi pour ne pas devoir me rapporter ce tube, Paichel. Vous allez m’obéir et si vous décidez de me fausser compagnie en traversant dans une autre époque, vous aurez la mort des autres élèves de cette école sur votre conscience.

Le prisonnier se fit conduire dans une galerie souterraine où des techniciens préparaient un étrange canon dont l’aspect général faisait penser à un télescope, muni d’une lentille taillée dans un cristal. Celui-ci projetait différents rayons de couleurs sur l’un des murs de la pièce. Le trépied de l’arme reposait dans un bassin d’eau. Lorsque Paichel fut près du canon, un technicien introduisit prudemment des grains de mégator dans la tête réceptrice du cristal et il se mit aussitôt à tourner rapidement sur lui-même. Les couleurs se réunirent pour créer un seul jet de lumière. Ce puissant laser désintégra rapidement la matière constituée dans ce mur et on vit ensuite apparaître une faille entre les deux dimensions. En effet, von Reich était loin de se douter qu’il venait simplement de pratiquer une brèche entre notre monde visible et celui d’une autre dimension, simplement appelée l’AU-DELÀ. Paichel lui cria de désespoir :

- Vous venez de blesser le monde des esprits et le nôtre. Cette plaie va s’infecter et le mal va se répandre partout dans l’univers puisque nos mondes sont parallèles et complémentaires.

- Taisez-vous et n’oubliez pas ce que je vous ai demandé, lui répondit froidement l’ancien colonel SS.

Le pauvre homme fut jeté tête première dans cette faille qui ressemblait à un petit hublot par lequel on pouvait voir les étoiles de l’autre dimension. Paichel se considérait exactement comme un microbe étranger dans une blessure. Il craignait évidemment de se faire attaquer par les anti-corps de l’autre monde. Soudain, un vent violent le ramena dans la pièce, suivi par quatre sphères brillantes qui le protégeaient par leur douce lumière. Ces forces obéissaient aux Maîtres de l’invisible afin de mettre un terme à cette expérience. Le canon atlante fut attiré dans le trou comme une poussière dans un aspirateur et ensuite ce fut le tour de von Reich et de ses gorilles à passer dans l’au-delà. Puis, une voix s’adressa à Paichel en ces termes :

- Cette faille risque de faire périr votre monde si elle n’est pas refermée avant la nuit des morts. Les esprits hantent la terre cette nuit-là lorsqu’une autre brèche s’ouvre une seule fois par année entre nos deux dimensions. S’ils découvrent une autre entrée, sois persuadé qu’ils en profiteront pour envahir le monde des corps physiques. Ces esprits seront attirés par le mal qui entoure cette plaie. Ils sont encore trop primitifs pour vivre dans nos deux mondes et cherchent donc une issue pour les envahir.

- Comment dois-je m’y prendre pour refermer cette faille?, demanda l’homme sans hésiter.

- Nous ne pouvons répondre à ta question, lui répondit l’une des boules lumineuses en tournant autour de lui. C’est la première fois que les hommes pratiquent un trou aussi grand entre nos univers parallèles.

Les sphères retournèrent dans la faille et disparurent rapidement dans ce ciel étoilé. Paichel demeura un moment fort troublé par les avertissements de ces êtres lumineux et vit ensuite tous les meubles et appareils sophistiqués de cette pièce se faire gober par ce trou. Il recula rapidement pour éviter de se trouver dans le champ d’attraction qui entourait cette plaie rougie par l’infection. En effet, on aurait dit que cette blessure était celle d’un corps universel qui ne pouvait vivre au contact de notre monde. C’était comme si la planète Terre s’empoisonnait lentement par cette plaie et qu’elle affectait malheureusement une autre dimension inconnue mais réelle.

Paichel remonta en trombe jusqu’à cette classe où le professeur Defrappe ne tarda pas à recevoir une solide droite sur le menton sous le regard étonné des élèves. L’enseignant bascula par-dessus son bureau et s’évanouit dans un coin du local sans même pouvoir se défendre contre ce solide gaillard à l’allure pacifique.

- Demeurez calmes, leur dit le boxeur amateur après s’être frotté le poing endolori. Ces monstres ont voulu m’assassiner et von Reich s’était même mis en tête de se servir de vous pour m’obliger à lui obéir. J’ai bien peur que nous nous sommes tous laissés berner par cette maudite organisation de l’Outapran.

- Expliquez-vous voyons, lui demanda André Couturier en fixant le pauvre professeur étendu sur le plancher. Est-ce dans vos manières de frapper les gens avant d’écouter leur défense?

Alors Paichel s’expliqua brièvement et les élèves durent admettre qu’il avait bien fait de ne prendre aucun risque avec ce membre de l’organisation nazie. André fut le premier à se lever pour chercher de quoi ligoter le prisonnier. Daniel Boulia arracha le fil d’un projecteur pour lui offrir comme corde. Depuis le début, Shana pressentait que quelque chose n’allait pas avec ce von Reich, mais par prudence, elle faisait semblant d’apprécier sa compagnie et celle des faux professeurs. Elle dit nerveusement à Paichel :

- Nous allons vous suivre dans ce souterrain pour tenter de refermer cette faille avec l’aide de Dieu.

- Que faisons-nous de Defrappe?, demanda André en vérifiant la solidité du noeud que venait de faire Daniel.

- Je pense qu’il en a pour un petit moment dans le coma, répondit le clochard en éclipsant un sourire. S’il est bien ligoté, il ne risque pas de s’enfuir afin d’avertir ses supérieurs de l’échec de leur plan.

- Ils nous ont bien eu, murmura André en secouant tristement la tête. Von Reich prétendait travailler sur un projet qui m’intéressait depuis des années. Mais, faute d’argent, j’avais abandonné mes recherches sur la mise au point d’un programme informatique, entièrement contrôlé par une intelligence artificielle. Cela m’apprendra à voir trop grand!

- Et moi alors, ragea Daniel Boulia en traînant le professeur par les pieds, on devait m’aider à perfectionner la qualité sonore de mon studio d’enregistrement en me fournissant des consoles ultra-modernes. Quelle blague! Mais soyons tout de même positifs si nous voulons refermer cette faille pratiquée par un canon atlante. Jamais je n’aurais voulu croire avant aujourd’hui que l’Atlantide n’était pas un mythe.

- Il a raison, dit Carole en aidant Daniel à faire asseoir le prisonnier dans un coin. Il faut demeurer positif puisque quelque chose me dit que nous sommes en train de vivre une expérience unique au monde. C’est à nous d’être solidaires et de mettre nos talents en commun. Monsieur Paichel, ce trou est une porte ouverte entre deux mondes parallèles et surtout, un point neutre par lequel je pourrai communiquer avec les êtres de l’autre dimension.

- J’apprécie votre aide et votre courage, mes amis, répondit Paichel en se grattant sa barbiche de chèvre. Il va falloir faire vite puisque les supérieurs de von Reich vont bientôt répliquer lorsqu’ils n’auront plus de nouvelles de lui. Attendez-vous à voir plusieurs gorilles armés jusqu’aux dents nous descendre comme des mouches s’ils nous trouvent ici.

[retour]